6 mai 2019

Décoloniser la communication des ONG

Article écrit par Kalvin Soiresse. Kalvin Soiresse est un écrivain et journaliste belge d’origine togolaise à l’initiative de Mémoire Coloniale et Luttes contre les Discriminations. Cette association se mobilise pour lutter contre le racisme en Belgique à travers une approche décoloniale novatrice.
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Décoloniser la communication des ONG à partir d’outils historiques : une nécessité vitale

« C’est le Blanc qui crée le Nègre », disait Frantz Fanon. Il ne croyait pas si bien dire. En sept mots, l’un des plus grands théoriciens de la psychanalyse coloniale venait de résumer plusieurs siècles d’histoire dont certaines ONG à travers le concept de développement sont les continuateurs. En effet, nous sommes les produits de notre société et de son histoire. Les dirigeants et les travailleurs des ONG n’échappent pas à la règle. Dans le management des campagnes publicitaires qu’ils et elles mènent, l’empreinte de l’histoire est très présente. Hormis le cynisme de certaines directions d’ONG pour maximiser les dons, le fondement des campagnes de communication des ONG en général et des ONG belges en particulier est marqué par un substrat historique. Un substrat dont elles n’ont pas toujours conscience ou qu’elles ne questionnent pas ou pas assez.

L’empreinte de la propagande coloniale

En réfléchissant bien, l’existence même de la notion d’humanitaire ou de développement qui fonde l’action des ONG est à questionner d’un point de vue historique. Depuis plusieurs siècles, dans la conscience collective occidentale, l’Afrique est le continent que l’on doit « aider » ou que l’on doit « développer ». C’est ici que la phrase de Fanon prend tout son sens. C’est de l’Europe et de l’Occident en général que l’on a toujours su ce qui est bon pour le « Nègre sauvage ». C’est de l’Europe que la propagande a voulu l’affranchir de l’esclavage, c’est toujours de l’Europe qu’on a décidé qu’il était bon de le « civiliser » et de l’amener vers la modernité. Enfin, c’est encore de l’Occident que l’on a construit le concept de « développement » sur la base des critères issus du capitalisme économique qui fonde les sociétés européennes. À chaque période de l’histoire correspond son agent. Aux différentes époques correspondent des acteurs différents tels que le philanthrope, le missionnaire et l’humanitaire. Tout.es ont pour mission de sauver l’Afrique, ce continent uniforme à qui on doit appliquer les mêmes recettes pour le voir sortir du pétrin millénaire dans lequel il est plongé.

La Belgique est un des pays occidentaux où la propagande coloniale a été la plus systématique mais aussi la plus paternaliste vis-à-vis des Noir.es, notamment des Congolais.es, Rwandais.es et Burundais.es. Les ONG à travers leurs actions sont impactées par les effets de cette propagande ancrée dans l’inconscient collectif belge. Les missionnaires belges à l’époque coloniale avaient pour but de récolter le plus d’argent possible au sein de la population en faisant valoir leurs états de services auprès des Indigènes dont il fallait sauver l’âme damnée. Les logiques de communication sont-elles différentes ? À peine. Les ONG belges n’évoluant pas en dehors de la sphère sociétale belge, elles sont aussi le produit de ces logiques politiques et institutionnelles à travers lesquelles on définit pour les Africain.es ce qui est bon pour eux. Au sein des familles belges, se sont développées des traditions, celle des missionnaires mais aussi celle des religieuses qui constituaient le paravent de la bonne conscience du capitalisme colonial. Les exemples sont légion pour montrer cette logique capitaliste. Certaines ONG utilisent des sous-traitants pour récolter de l’argent. Ainsi un de mes amis militants au sein du Collectif Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations nous a rapporté son expérience en tant que volontaire au sein d’une ONG bien connue de la place bruxelloise. Une campagne de communication avec des images choc sur la Syrie avait été mise en place par le sous-traitant engagé par cette ONG. Le but pour les volontaires était de faire campagne sur des sachets qui filtrent l’eau et qui doivent être envoyés en Syrie au profit de la population qui manque d’eau. Au bout de plusieurs jours, cet ami découvre que l’ONG en question n’est pas active en Syrie. Par ailleurs, un débriefing est fait en fin de journée. Si au bout de trois jours, le volontaire n’a pu faire signer 4 donateurs ou donatrices, il ou elle est viré.e.

Des campagnes d’image qui renforcent les stéréotypes et n’interrogent pas l’altérité

Depuis plusieurs années, la rengaine est la même lorsqu’on soumet les campagnes d’ONG à la critique. Faut-il laisser crever les Africain.es alors qu’il y a manifestement un besoin d’aide ? Le ou la Belge ne sera pas généreux.se si l’image qui lui est proposée n’est pas celle du petit enfant misérable qui croupit dans la poussière au fin fond de l’Ethiopie ou du Mali. Des questions essentielles ne sont pas posées au sein de ces ONG : les images véhiculées renforcent-elles les complexes d’infériorité chez les Africain.es et de supériorité chez les Européen.ne.s ? L’Africain pauvre, miséreux, incapable de s’en sortir par lui-même est homogène. Qu’il vive dans les bidonvilles de Bandal à Kinshasa ou dans les beaux quartiers du Plateau à Abidjan. L’uniformisation de l’Afrique mais aussi de l’Africain.e et de son histoire contribue à renforcer les stéréotypes et les complexes. Est-on plus enclin à considérer l’Africain.e comme son égal.e après avoir vu de telles images qui montrent le déneument dans lequel l ou elle vit ? L’Afrique des guerres, l’Afrique des famines, l’Afrique des maladies n’a pas malheureusement fini de donner bonne conscience à celle ou celui qui donne en Europe tout en le ou la rassurant sur sa supériorité.

Les campagnes menées posent en elles-mêmes question quant à la monétarisation des histoires. Le misérabilisme associé à l’argent est une vieille technique qui fait toujours recette. Elle magnifie le fait que l’idée du bonheur se trouve exclusivement en Occident pendant que le malheur se retrouve perpétuellement en Afrique.

La nécessité d’une culture décoloniale au sein du fonctionnement des ONG

Depuis plusieurs années, le Collectif Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations essaye à son échelle de mettre en place des outils solides destinés à déconstruire les paradigmes sur lesquels se sont construits les fondements de la propagande coloniale. Jusqu’ici, les ONG sont restées trop longtemps en dehors de ce questionnement. Comme beaucoup de puissances politiques et sociales, les résistances peuvent être nombreuses dans les ONG. Néanmoins, la nécessité de formations décoloniales systématiques des agents est absolument nécessaire. Les formations décoloniales d’un point de vue historique, anthropologique sont fondamentales dans l’appréhension du rapport à l’Afrique et aux Africain.es. « Traiter des cultures nationales et en préciser les spécificités est déjà une façon de requestionner la notion globale de culture continentale africaine et d’abandonner le stéréotype de « l’Africain », affirme Martine Brasseur à propos de la gestion des stéréotypes dans le management de la question de la diversité culturelle concernant l’Afrique. C’est la première étape vers un véritable travail de décolonisation des pratiques des ONG liées à la coopération au développement.

Les ateliers de déconstruction qui ont été développés par le Collectif interrogent en permanence les stéréotypes et les préjugés du passé qui sont encore très vivaces aujourd’hui. Ils remettent en question les stéréotypes qui se développent aussi aujourd’hui mais qui tirent leurs sources du passé. Nos animations adaptées aux différents secteurs en ce qui concerne les représentations passées et actuelles ont également fait leurs preuves. Les outils sont nombreux : l’espace public avec les visites guidées décoloniales, la littérature comme la mise en débat de l’impact de Tintin au Congo sur la société belge. La remise en question permanente en ce qui concerne la notion de développement est également fondamentale. Cette notion fonde l’action des ONG et est à la base de la perpétuation des imageries coloniales.

Enfin, il est absolument essentiel que les ONG adoptent des outils et des mesures qui leur imposent le décentrement culturel. Partir des cultures dont on veut parler plutôt que de la sienne propre comme référence doit constituer la base sur laquelle les ONG doivent construire leurs actions. Le but final étant d’éviter un ethnocentrisme dévastateur.

 

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