15 avril 2019

PARTICIPER À UNE CAMPAGNE DE SENSIBILISATION CONTRE LES STÉRÉOTYPES ET LES PRÉJUGÉS

Entretien avec Dorcy Rugamba. Dorcy Rugamba est un comédien, auteur et metteur en scène belge. Il a notamment co-écrit la pièce de théâtre Rwanda 94 portant sur le génocide au Rwanda. Il participe activement au développement des arts de la scène et du spectacle vivant au Rwanda en produisant la scène rwandaise localement et internationalement.
Cec

 

Qu’est ce que la campagne Successdiverse story? 

 

C’est une campagne qui a été initiée par une grande dame de la communication : Chouna Lomponda. Elle voulait changer l’image que l’on a de la diversité en Europe et plus spécifiquement en Belgique. L’idée a émergé après la publication d’un article dans le Soir qui expliquait que la plupart de la jeunesse bruxelloise n’était pas diplômée. Ils avaient illustré cela à travers les visages d’un noir et d’un arabe. Ce fut un choc, c’est trop souvent une habitude de systématiquement illustrer certains sujets par certaines images. 

Chouna Lomponda a voulu renverser cela pour dire: il y a aussi des profils de gens dont on ne parle jamais. Elle a voulu montrer qu’il y a une diversité dans la société et que les gens d’origine diverse font plein de choses. Il faut sortir des clichés, comme celui de « tous les noirs sont des rappeurs ». Il y a des gens issus de la diversité qui sont dans des carrières auxquelles on ne s’attend pas forcément.

Cette campagne avait aussi pour but de donner aux jeunes d’autres images de la représentation, pour se figurer, se projeter. 
J’ai été très heureux d’y participer en tant qu’artiste pour montrer qu’il y a une voie dans le monde du théâtre, dans l’écriture. 

Il n’y a pas beaucoup d’Africains dans ce domaine, la plupart des gens qui viennent d’Afrique ne se sentent pas bienvenus pour choisir ces voies-là. En tant que père je pose la question pour les enfants: comment se voient-ils dans l’espace public? Quelle est l’image qu’il leur est renvoyé? Et c’est là où je trouve que les campagnes d’ONG portent préjudice à certaines communautés.

Dans Successdiverse Story, le storytelling fait partie de la démarche. C’est une pratique que les ONG ont commencé à utiliser pour faire parler les bénéficiaires. Mais malgré tout on se rend compte qu’il y a une persistance des représentations négatives. Quelles en sont les causes à votre avis?

Quand les ONG passent par des agences de communication, cela pose problème. Ces agences ont créé un langage culturel et visuel qui fait qu’il y a des correspondances entre un concept et une image. Par exemple, on se rend compte que les agences de pub/comm sont très sexistes. Il y a une association quasi immédiate entre une voiture et une femme. Cela finit ainsi par devenir un mode de fonctionnement, un langage. On fait correspondre tel ou tel message à une figure consacrée. De nombreuses études ont montré que le marché de la communication fonctionne ainsi. 

Je me souviens d’un blog, « Africa is not a country » qui montrait que tous les livres publiés qui parlaient de près ou de loin de l’Afrique s’étaient retrouvés, tous auteurs confondus, avec un acacia et un coucher de soleil. Dès que cela touchait l’Afrique, il y avait un réflexe automatique de cette image exotique. 

Dans le monde des ONG, qui se finance par des bienfaiteurs, il y a un certain nombre de réflexes qui se sont ancrés. On présente toujours le message de la même façon, on va cibler des donateurs dans la population, en leur demandant la charité dans la pratique presque chrétienne du terme. On fait la charité, mais pour une tierce personne, c’est-à-dire que les personnes bénéficiaires ne sont pas à la base du message. C’est une personne tierce qui fait l’aumône pour d’autres personnes. Ceci peut s’expliquer par l’histoire de la colonisation entre autres…

La figure africaine est systématiquement utilisée pour des images pitoyables, pour instaurer la pitié comme si le seul moteur de la solidarité c’est ce sentiment de pitié. Mais on oublie que le préjugé que vit un être humain n’est pas seulement matériel, il y a aussi un préjudice lié à la perte de dignité, il y a un préjudice moral à présenter des gens toujours de façon pitoyable. C’est un grave problème qui s’ajoute à ce que les médias en général, en Belgique et en Europe, ne parlent d’Afrique seulement lorsqu’il y a une catastrophe.

Tous ces sujets ne sont pas contrebalancés par d’autres choses qui se passent en Afrique. 
Je n’aimerais pas être à la place de quelqu’un qui ne vit pas en Afrique. On pourrait penser que c’est un endroit où il ne se passe rien, où les gens ne vivent pas. S’ajoutent à cela des pays où ça se passe bien, mais on n’en parle pas.

On n’a jamais entendu parler du Botswana, parce qu’il n’y a jamais eu de coup d’État depuis les indépendances. Il y a un P.I.B par habitant très élevé, une transition démocratique, une coexistence pacifique, une répartition des richesses dans la population. Tout cela n’est évidemment  pas sensationnel. Les médias et les ONG sont tombés dans le sensationnel pour attirer les gens.
On est aussi dans un monde qui nous inonde d’images, ce qui fait que les donateurs sont devenus extrêmement offensifs, puisque c’est une compétition. C’est très difficile d’attirer l’attention, donc tous les moyens sont bons comme renoncer à la dignité humaine des personnes pour satisfaire la curiosité publique. 
 

Même si ce n’est pas malveillant les ONG ont une responsabilité en confiant leur communication à des professionnels qui ne s’appuient pas sur des valeurs morales, mais sur l’efficacité. Finalement, le changement de représentation ne viendra peut-être pas d’ONG…

 

En tant qu’acteur du développement du secteur culturel au Rwanda et avec La Rwanda Art Initiative, penses-tu que le secteur culturel en Afrique a un rôle à jouer dans le renversement des stéréotypes et dans la création d’autres discours?

 

Oui, ce secteur et nous même avons un rôle à jouer ! Nous avons une responsabilité. Le romancier nigérian Ben Okri avait interpellé la responsabilité des auteur.e.s africains à ce sujet. Pourquoi y a-t-il des sujets récurrents dans la littérature africaine? Il faut toujours faire dans le sensationnel pour être reconnu. Ben Okri avait critiqué tous ces auteur.e.s africain.e.s qui écrivent pour un public occidental et parlaient tout le temps de misère, femmes mutilées, enfants soldats, etc..

Quand on est par exemple dans la littérature en langue locale, on se rend compte que ces thèmes ne se retrouvent pas. Quelqu’un qui écrit dans sa langue maternelle pour la population locale n’ essaye pas de les impressionner, il n’essaye pas de parler de couleur de peau, parce que ce n’est pas important. Et c’est notre rôle à nous africains de montrer autre chose, de montrer la vie et de ne ne pas toujours parler de fait sensationnel.

En tant qu’opérateur culturel, l’un de mes combats est de défendre les langues nationales. On vient de sortir le livre de Gaël Faye. Il faut raconter les histoires à l’ensemble du pays, y compris dans les lieux reculés. Il faut permettre que des gens puissent se raconter, raconter aussi à leurs voisins, à leurs contemporains. 

L’exemple de Noliwood est significatif pour expliquer ce que l’industrie culturelle peut faire pour changer les représentations. Noliwood c’est totalement différent de toutes ces oeuvres qui sont créées pour l’exportation. Ces films n’essayent pas de correspondre à une clientèle européenne. Ils sont dans des langues qui sont parlées dans la région. Parfois, on raconte des histoires qui sont dans un imaginaire de création, extrêmement riche. C’est aux artistes de changer: s’adresser à une autre clientèle, qui s’intéresse vraiment à l’Afrique dans sa complexité et montrer comment les africains se voient eux-mêmes. Il y a des productions à repenser.

Moi j’en parle d’un pays qui a vécu des tragédies. On ne peut pas occulter les tragédies qui se passent. Cependant, d’un autre côté, je sais que si je n’ai que ça à dire, ce sera un enfermement, ce sera grave.
Il faut passer par là, il faut en parler, mais il faut montrer qu’il y a d’autres choses qui se passent aussi. Et puis on n’est pas obligé de compartimenter le monde. Il y a des catégories identitaires reproduites dans les médias, dans les ONG, qui sont figées.

On oublie que le monde est métissé depuis très longtemps, que nous vivons tous dans des environnements cosmopolites. Dans les formes d’arts que nous produisons, il est important que nous soyons dans la symbiose de l’universalité du monde. Il n’y a pas une seule réalité africaine ou une seule réalité européenne. Il faut avoir le talent de se dire: on ne va pas montrer que des profils de noirs et d’arabes, on veut montrer des profils de partout. On va déconstruire la diversité: la diversité ce n’est pas des noirs et des arabes, c’est mille personnes différentes.

 

D’après tes expériences au Rwanda et en Belgique, comment tu pourrais imaginer une communication des ONG qui soit plus durable et qui pourrait permettre de produire une communication  plus diversifiée?

 

Il faut un changement du récit. Arrêter de solliciter l’aumône, mais plutôt s’attaquer à la source du problème, comme le fait Oxfam par exemple. Il faut poser des questions politiques : pourquoi il y a la misère? Il faut appeler à la conscience des gens. C’est ce que les campagnes pour l’écologie font déjà. Elles appellent à une conscientisation politique.

Par exemple sur la question des migrants: s’il y a  des migrants qui meurent dans la Méditerranée c’est parce qu’il y a des politiques de prédation des minerais. Plutôt que de nous parler de ça on va juste nous parler des migrants. Les ONG devraient s’attaquer aux causes.

Ce ne sera pas nécessairement les mêmes publics touchés par ce message, mais en tout cas cela peut interpeller et les gens vont se dire : « j’ai ma tâche à faire pour qu’il y ait moins de guerres, moins de ventes d’armes. Je peux intervenir financièrement pour enrayer les politiques de captations des ressources ». Comment est-ce qu’on pourrait montrer la réalité des femmes violées dans l’est du Congo uniquement en sollicitant la pitié, mais sans parler de la cause qui est l’extraction des minerais?

 

Ne pensez-vous pas qu’il y a un autre problème aussi? Ces ONG sont liées à des intérêts puisqu’elles sont financées par des gouvernements, donc liées au politique…

 

Il faudrait qu’elles ne soient plus dépendantes du politique, mais aussi des groupes privés! Ces groupes privés ont un agenda: montrer les gens dans la misère fait partie d’une stratégie de faire écran. Cela nous empêche de parler des réalités de ce que font les groupes agroalimentaires, de la politique menée par les ONG. On va nous parler de la famine et non pas de ce qui se passe derrière.

Par exemple au Zimbabwe une ONG a voulu distribuer du maïs transgénique. Le gouvernement a dit « nous n’en voulons pas nous voulons du, mais moulu ». Les ONG n’ont pas voulu: c’est plus intéressant économiquement d’alerter le monde sur la famine, de donner des céréales transformées et de changer la politique agricole d’un pays.

Le problème des ONG n’est pas lié seulement à la communication il est lié à la nature des ONG elles-mêmes.

 

 

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