15 avril 2019

LES EFFETS DE LA PROPAGANDE COLONIALE

Article reprenant les propos de Elikia M’Bokolo, professeur d’histoire à l’université de Kinshasa et membre du comité d’histoire universelle de l’Afrique à l’UNESCO.
Cec

 

Effets de la propagande dans les relations Nord-Sud: l’exemple du Congo.
 

La propagande coloniale au Congo

Originaire de la RDC, je suis en fait natif du Congo Belge. J’ai été exposé à la propagande coloniale de manière très vive, mais je n’ai jamais été soumis à cette propagande.
Encore aujourd’hui il subsiste au Congo un certain nombre de concepts et de postures politiques, économiques, culturelles, spirituelles qui relèvent entièrement des effets pernicieux de la propagande coloniale. Donc si juridiquement la colonisation est morte, nous pouvons voir qu’économiquement, culturellement, linguistiquement elle ne l’est pas encore.

Dans la tête des gens, les stéréotypes continuent de fonctionner. Le monde d’aujourd’hui a changé, il n’est plus bipolaire: de nouvelles puissances émergent. C’est étonnant de voir que malgré tout cela, dans un certain nombre de pays, les gens ont encore dans la tête ces réflexes issus de la propagande coloniale.

Perception de l’Afrique en France après les indépendances

À la fin des années 1960 lorsque j’étais étudiant à Paris, il y a eu ce choc de 1968. Non pas les événements dont on parle aujourd’hui (ndlr: mai 68), mais la guerre civile au Nigéria (ndlr :guerre du Biafra). Il est apparu un ensemble d’images extrêmement frappantes qui parlaient d’un génocide en Afrique. C’était d’autant plus choquant qu’à la même époque dans trois pays au moins du continent, au Mozambique, en Angola, en Guinée-Bissau, le Portugal menait une guerre d’extermination contre les nationalistes africains.

Le Portugal quoi que n’étant pas une démocratie, était membre d’un ensemble géopolitique qui se présentait comme défenseur de la démocratie : l’OTAN. Concernant ces trois derniers pays, personne n’a parlé de génocide, personne n’a parlé du napalm, personne n’a parlé de la destruction de villages: il y a eu une sorte de continuité de la propagande, au-delà des indépendances et même au milieu des luttes pour l’indépendance.

La construction de l’état colonial belge

La Belgique a cette singularité d’être l’un des derniers pays nés en Europe au 19e siècle et à n’avoir pas été associée aux crimes de la déportation massive des africains vers les Amériques. Elle a donc été confrontée au processus colonial au milieu du siècle de l’industrialisation.

Donc ce pays neuf est en train de se construire comme Nation au moment où commence la colonisation. En 1836, la Belgique est encore très jeune. Pour parler de l’histoire, les savants belges font appel à des historiens français qui expliquent que la civilisation est née en Europe et qu’il faut la transmettre au reste du monde.

Même si les procédures utilisées pour la transmission ce travail ne sont pas civilisées ce n’est pas grave. L’important c’est que l’Europe est supérieure et centre du monde. Entre les années 1830 et les années 1880, la société belge n’a pas d’intérêt pour la colonisation, cela ne fait pas partie de son patrimoine.

La bourgeoisie belge était d'inspiration libérale donc anticoloniale. Dans un pays qui est l'un des grands pays industriels de l’Europe à cette époque, les ouvriers belges étaient dans des conditions matérielles et sociales épouvantables dans les mines. La colonisation ne les intéressait pas, ne parlons pas non plus des paysans. Ce fut donc une invention très élaborée et psychologiquement très efficace consistant à transformer en peuple colonisateur des gens qui ne l’étaient pas.

Cette propagande coloniale est tentaculaire, voire totalitaire. Elle est centrée sur la personne du Roi Léopold II. Ces héritiers en bénéficieront même s’ils n’ont pas déployé autant d’énergie et autant de talent que lui. C’est une propagande qui est concertée et qui est vouée à des objectifs précis: objectifs de domination, d’exploitation et d’enrichissement en Afrique, objectifs de soumission aussi durable que possible de ces peuples colonisés à la domination étrangère.

L’invention des « noirs », l’invention d’un peuple

C’est donc un système cohérent, avec un noyau, avec des acteurs, des penseurs, des journalistes, des producteurs d’images, des réseaux, de l’État, du privé, public, des réseaux d’affaires, des réseaux laïques qui se crée. Tout ça pour arriver à produire une image, l’image du Congo.

Le Congo dans cette propagande, c’est Léopold II qui le construit, c'est sa chose. Il est important de dire d’où vient la misère, pour ne pas projeter une image faussée des personnes concernées, qui ne sont pas passives devant leur situation. 
  
Par la suite, il a fallu définir les gens qui y habitaient. Alors on a produit le concept du « noir ». Au début, on utilisait le concept du nègre, mais c’était un mot trop chargé d’un vocabulaire français esclavagiste. Donc ce fut plus simple de dire « noir ». Ce nègre on le présente sous des traits à la fois négatifs et positifs. Le négatif c’est que c’est un sauvage, il est nu, il ne connaît pas la civilisation, la religion. Mais dans le même temps, la mission civilisatrice veut le montrer comme un pauvre sauvage menacé de disparition.

Production d’une connaissance, invention d’identité : la tribalité.

On a donc inventé le noir et puis on est allé plus loin on a inventé des peuples, plus précisément des tribus. Des tribus différentes les unes des autres, certaines intelligentes, d’autres complètement attardées, certaines vigoureuses d’autres, décadentes, toujours en conflit entre elles. Il est intéressant de voir que, outre les politiques, financiers ou journalistes, les universités ont également participé à ce trafic de connaissance.

Un certain nombre de savants vont participer à la production de ces identités ethniques et tribales : la taille, la grosseur, la taille du crâne, les capacités intellectuelles, les ouvertures spirituelles et autres seraient extrêmement différentes selon que l’on passe de la tribu X à la tribu Y et selon qu'on les mette en contact ou non avec la civilisation.

Ces idées traversent le Congo géopolitique d’ajourd’hui: c’est-à-dire la représentation des différentes parties du pays, non pas en terme démographique, mais en termes d’origine tribale. Cette idée-là est directement née de cette période coloniale. Par exemple, si on dit Étienne Tshisekedi, on ne dira pas il est social-libéral ou social- chrétien, on dira d’abord c’est un Muluba, et quand vous dites Muluba, vous ouvrez une chaîne d’où vous pouvez tirer la taille, la couleur de la peau, etc.

Ces conceptions traversent aussi bien les sociétés européennes, belges que la société congolaise. Ainsi, ce trafic de l'intelligence, ce déni de la mémoire, cette fabrication d’une histoire (pour certains qui n'est pas leur histoire) va mobiliser beaucoup de gens. Nous avons montré dans un livre avec Jean-Pierre Jacquemin, comment de 1885 (exposition d’Anvers) jusqu’à 1958 (exposition universelle) les Congolais été dépeints de la même façon.

Communication de certaines ONG encore imprégnée de cette propagande.
Certaines ONG s’inscrivent encore dans cette logique de la propagande, notamment en partant de l’idée que leur action à partir d’ici aurait plus de légitimité et serait plus efficace que l’action de ceux qui sont sur le terrain. Comme si ceux qui étaient sur le terrain étaient sourds à leur misère et ne faisaient rien pour en sortir.

Il est important de dire d’où vient la misère, pour ne pas projeter une image faussée des personnes concernées, qui ne sont pas passives devant leur situation. De plus, l’accent qui est mis sur cette misère incontrôlable dédouane les responsables de ces actions. Responsables qui sont là-bas, mais responsables qui sont aussi ici.

Il faut se poser les bonnes questions: D’où vient la misère ? D’où vient la maladie ? D’où viennent un certain nombre de ces problèmes ? Les Africains ne sont pas des victimes consentantes des misères qui leur arrivent, ces misères sont produites par des systèmes.

En Belgique aujourd’hui, on voit que la reforme en cours de l’enseignement de l’histoire est très problématique, insultante. Il y est présenté la colonisation du Congo comme un simple mouvement migratoire de Belges vers le Congo. C’est d’abord insulter les Belges parce qu’il y a eu très peu de Belges émigrés au Congo. Dire que cette migration peut être comparée à l’immigration des populations originaires d’Afrique en Belgique, mais de quoi parle-t- on ? Les Africains qui viennent ici ne sont pas des colonisateurs, ce ne sont même pas des colons. Certains sont nés ici et ont acquis des droits. Leurs droits légitimes sont quotidiennement violés notamment par la propagande. Les discriminations raciales en Belgique sont endémiques.

Conclusion

Ainsi, la colonisation a été le début du processus de développement du Congo, processus qui est toujours en cours . Il y a ce discours qui dit que les Congolais sont incapables de poursuivre l'oeuvre coloniale belge. Présenter les choses de cette manière c’est passer sous silence le fait que le temps de Léopold II a été un temps de pillage immense, de destruction de la faune de la flore et de déportation massive.

Quand j'ai fais avec Peter Bates le documentaire Le roi blanc, le caoutchouc rouge, la mort noire, nous sommes allés dans une chocolaterie d’Anvers où un brave chocolatier vendait du chocolat ayant la forme de la main coupée, nous lui avons demandé : « Monsieur c’est quoi ça ? - il a répo du : ce sont des mains coupées - ça vient d’où? - il a dit bravement : je ne sais pas c'est mon grand- père qui faisait ça et j’ai continué parce que les gens aiment ça ».

Donc ça veut dire que nous ne sommes pas encore sorti de l’auberge, et qu'il faut donc faire quelque chose pour que réellement on en sorte. Je pense que cela suppose dans le travail collectif important et ainsi nous arriverons à rétablir la logique et la dialectique des relations entre le Sud et le Nord.

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