17 avril 2019

"Qu’ils se débrouillent !" (C’est bien notre avis)

Article réalisé par Jean-Jacques Grodent, ancien responsable de l’information et du plaidoyer à SOS FAIM Belgique. Il a l’expérience des discours sur les projets de coopération et soutient activement différents projets d’agriculture en Afrique et en Amérique Latine. Dans cet article, il s’intéresse à l’impact de l’image humanitaire.
Cec
Quelques réflexions au départ d’une expérience de communication autour de l’image de l’Afrique.
 
L’emprise de l’image humanitaire
 
Au début des années 1970, à la suite de diverses crises humanitaires sur le continent africain (guerres, famines, sécheresse, …), se créent en Europe de l’ouest diverses associations d’intervention d’urgence. Très rapidement, pour se singulariser dans le paysage essentiellement occupé à cette époque par les associations de coopération au développement, elles lancent des campagnes de sensibilisation à la cause humanitaire, à grande échelle, multimédias, et destinée à un large public. 
Durant une bonne vingtaine d’années, les panneaux publicitaires verront s’affronter les slogans et les images émis tantôt par les organisations humanitaires, tantôt par les organisations de coopération, les unes et les autres prenant appui sur des images « venues » d’Afrique, par souci d’une certaine efficacité. Trois objectifs étaient poursuivis plus ou moins simultanément : le renforcement d’une notoriété, l’affirmation d’une vision singulière des interventions de la part des unes et des autres, … et l’appui à des campagnes de récolte de fonds.
Dès le départ, les dés sont pipés … d’un côté, des messages simples et directs d’intervention dans des situations de catastrophe, appuyées souvent par actions de presse percutantes et de l’autre, plus rares - les messages paternalistes sont encore régulièrement de mise, des messages qui tentent de contextualiser des appuis de long terme, visant non pas à « guérir », là tout de suite, mais à valoriser et accompagner des capacités d’action locales.  Deux langages, deux visions, deux approches, … deux « efficacités » dans le champ de la communication.  
C’est par un soutien souvent bénévole d’agences de communication et d’agences de vente d’espaces publicitaires, que ces 2 courants ont pu s’exprimer, jusqu’au début des années 2000, sans y consacrer des budgets trop importants. Par la suite, d’une part, en raison des refus des médias de poursuivre une offre d’espaces gratuits et des agences de prolonger des collaborations gratuites, et d’autre part, en raison de la faible rentabilité financière des campagnes, les messages « associatifs » se sont progressivement retirés des panneaux publicitaires de 20m². Actuellement, quelques associations mènent encore des campagnes de communication dans quelques médias, sans plus atteindre l’importance qu’elles pouvaient avoir dans les années ‘80 ou ’90.
On l’a dit, il n’était pas aisé, pour une organisation de coopération, de rivaliser avec les messages univoques portés par les organisations humanitaires … et, souvent sous la pression des agences de communication, les tentations d’affaiblir et de simplifier les visions portées par les premières étaient extrêmement fortes.
 
La validité par les acteurs concernés
 
C’est dans ce contexte marketing que l’une des associations de coopération, SOS Faim, a sorti en 1996, la campagne «  « Qu’ils se débrouille ! » C’est bien notre avis ». 
 
A cette époque, les premiers messages xénophobes et d’extrême droite commençaient à s’afficher sans retenue. Par ailleurs, les associations humanitaires disposaient régulièrement d’espaces de presse importants, combinés avec des espaces de communication publicitaire. Ces espaces, chacun dans ses spécificités, développaient des messages à forte connotation émotionnelle, au départ des terrains d’intervention marqués par la désolation et le dénuement des populations, très souvent enfermées dans une attitude passive. Cette situation permettait aux acteurs humanitaires de se présenter comme des chevaliers « blancs », dont ni la nécessité, ni l’efficacité ne pouvaient être mises en doute.   
Pour SOS Faim, il s’agissait à la fois de se démarquer de ces approches d’assistanat et de poursuivre l’affirmation des acteurs de terrain que sont les populations locales partenaires, affirmation qui s’était déjà manifestée dans une campagne précédente « Tout dans la tête, rien dans les poches ». Parallèlement à cette volonté de positionnement qui tranchait par rapport au contexte, il y avait aussi une intention d’appuyer une campagne de récolte de fonds.
L’agence de communication de l’association était à l’époque l’agence Publicis. Après avoir quelque peu hésité sur les concepts à mettre en avant, elle a proposé la campagne « Qu’ils se débrouillent ! ». Cet axe de campagne a tout d’abord fortement interpellé SOS Faim car il prenait appui sur le discours porté par l’extrême droite, pour le détourner. Mais la question était de savoir si le détournement allait être perçu et validé par le grand public auquel la campagne allait s’adresser via des panneaux publicitaires de 20m² , des insertions presse, un courrier postal envoyé à des sympathisants. 
Par chance, à cet époque, SOS Faim avait réuni au siège de l’association, ses partenaires africains et une réunion a été organisée avec eux autour de la proposition de campagne. D’emblée et de façon unanime, ils ont tous acquiescé à l’esprit de la campagne : « Oui, c’est bien nous, ce sont bien nos intentions. » Cet aval donné par les acteurs de terrain que sont ces représentants d’organisations africaines, a conduit SOS Faim à accepter la thématique de la campagne, qui s’est déclinée sur divers médias.   
Au bout du compte, c’est une campagne qui a marqué les esprits, notamment en confirmant le positionnement de SOS Faim tant dans l’approche d’une campagne que dans son processus de conception et de validation. Cependant, les espoirs mis dans la récolte de fonds qui accompagnait la campagne de communication ne se sont pas concrétisés.
Si l’opportunité ne n’est plus présentée de rassembler ses partenaires du Sud autour d’un concept de campagne, les images que proposait l’organisation à ses publics ont souvent été construites avec ceux-ci et la plupart des messages leur ont été adressés sans qu’ils ne suscitent de réaction d’incompréhension voire de rejet. 
 
Une Afrique productrice de ses images
 
Depuis cette époque, on a assisté à une forte évolution des contextes de travail. Les « Sud » sont maintenant producteurs de leurs propres images. Les problématiques se sont mondialisées en estompant les anciennes dichotomies entre le « Nord » et le « Sud ». La production même des images s’est fortement diversifiée et, surtout, s’est multipliée de manière exponentielle, … les co-productions impliquant conjointement des acteurs du Nord et du Sud sont maintenant monnaies courantes. 
Mais, à travers la mondialisation des médias, une certaine uniformatisation des langages communicationnels est en train de s’opérer, avec le risque d’un appauvrissement des expressions culturelles. Les canaux de diffusion des images se sont fortement commercialisés, ne rendant accessible cette diffusion qu’à un nombre limité de producteurs. 
Il n’en reste pas moins indispensable que les sociétés civiles doivent développer leur propre démarche de communication, mettant en œuvre, tant dans les messages que dans leur formalisation, les valeurs et les ambitions qu’elles promeuvent. 
Parce que des enjeux identiques traversent aujourd’hui toutes les sociétés, quel que soit leur niveau de développement, de nouvelles histoires sont à raconter, de nouvelles propositions sont à mettre en débat et à expérimenter, des partenariats sont à construire et à enrichir … et cela commence pour la co-production d’images et de représentations en conformité avec le respect et la valorisation de l’identité des uns et des autres.
 
Jean-Jacques Grodent – Ancien responsable de l’information et du plaidoyer à SOS Faim Belgique 

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