15 avril 2019

AFRODESCENDANTS, AFROPÉENS: REPRÉSENTATIONS ET REPRÉSENTATIVITÉ DES DIASPORAS AFRICAINES EN EUROPE

Entretien avec Amandine Gay, réalisatrice, comédienne et militante afro-féministe française. Après des études à Sciences Po Lyon (et notamment un mémoire portant sur les enjeux du traitement de la question coloniale en France), elle réalise en 2014 son premier documentaire Ouvrir la voix, portant sur les différents témoignages de femmes noires françaises.
Cec

D'après toi, quelles sont les principales raisons de la persistance de représentations négatives voire figées du continent africain et de ses habitants, plus largement des personnes racisées dans les campagnes de communication des ONG?  

Souvent quand on remarque un problème de représentation, par exemple les mutilations génitales féminines et que l’on regarde la composition du CA de l’ONG ou comment a été montée la campagne qui parfois est externalisée, on remarque que les équipes ne sont pas composées d’afrodescendants, ou alors encore qu’aucun travail de terrain n’a été réalisé. Il n’y a pas de participation en amont.

C’est ce qui mène à une campagne qui manque à sa cible puisque les concerné.es n’ont pas été intégré.e.s au processus rédactionnel. Ces campagnes perpétuent les stéréotypes au lieu de les questionner ou d’offrir aux concernés.es l’opportunité d’être en charge de la narration.

Dans le cas d'une situation d'aide humanitaire d'urgence, comme le séisme d'Haïti ou la crise Ebola, trouves-tu justifiée l'utilisation d'images choquantes pour informer et mobiliser?

Lors du colloque (colloque organisé par CEC au Parlement Fédéral belge sur la communication des ONG l'image des ONG: quel regard sur l'Afrique? ndlr.) j’avais parlé du poverty porn, concept développé par l’artiste Ayana V. Jackson, comme d’un enjeu qui implique la surreprésentation de la mort, du désastre, de la maladie et de la destruction lorsque l’on représente le monde non occidental dans les médias occidentaux. Les images chocs dans les campagnes pour des catastrophes renforcent ces images.

Je pense qu’il faut arriver à trouver d’autres moyens de générer de l’empathie ou la mobilisation des populations occidentales qu'en rejouant constamment la destruction et la mort des corps non blancs. Lorsqu’il y a une catastrophe ferroviaire en Europe, on ne voit jamais les corps. Quand ce sont les corps blancs, on ne les voit pas. Nous avons vu quelques images de personnes qui se défenestrent lors du 11 septembre 2001, mais personne n’a filmé ces mêmes corps à terre. Il y a un respect de la mort, on ne filme pas les corps en phase terminale de cancer. Le seul groupe blanc ayant été montré (mais dans ce cas c’était pour se réapproprier le stigmate) c’ était pour lutter contre le SIDA dans les années 80 et les groupes militants tels que Act up ont décidé d’être représentés dans les conséquences physiques du SIA. Il s’agit dans ce cas d’une stratégie de choquer le grand public pour mettre fin au statu quo.

Il y a pour moi une différence majeure lorsque l’agentivité est du côté du groupe qui a vécu une discrimination ou une situation d’urgence, d’une situation où l'agentivité est du côté des dominants, qui décident que la meilleure manière de récolter des fonds est de montrer des corps décharnés. Une fois de plus, c’est la question du pouvoir de la représentation et de qui choisit les outils pour générer de l‘empathie. Il y a d’autres manières de faire. Lors du séisme, plusieurs organisations haïtiennes faisaient des appels aux dons sur Facebook. 

Quelle démarches et pratiques seraient alors nécessaires pour enrayer ces logiques stéréotypées dans les campagnes de communication des ONG?

La première étape est de repenser le recrutement et la répartition des postes de pouvoir dans les équipes de communication.

1- Repenser le recrutement

Mettre en place ce que les anglo-saxons appellent “diversity in power”. Il ne s’agit pas de colorier son équipe et une question de quota, mais aussi de penser en termes qualitatifs et de penser la diversité dans son spectre le plus large, en y incluant par exemple le handicap et le validisme.

La communication mixte s’entend dans tous ses sens: genre, race, classe, validisme. Il me semble primordial de croiser les approches au maximum. Lorsqu’une campagne stéréotypée arrive à l’impression, cela signifie qu’à aucun des moments de son élaboration, aucune personne racisée, ou en situation de pouvoir n’a eu assez de pouvoir pour dire attention et jouer un rôle de garde fou.

2- Travailler en amont pour construire des ponts avec les organisations locales et de la diaspora 

Que ce soit dans les pays, mais aussi au sein des diasporas. Prenons l’exemple d'Haïti : énormément d’associations de la diaspora sont actives et il me semble important en amont d’aller voir ces acteurs. Avec qui travaillent-ils ? Peut être est il possible d’avoir des comités consultatifs où ces acteurs sont invités à partager bien que ces groupes ne soient pas installés, peuvent-ils faire partie du processus ? Comment imaginent-ils ces campagnes ?

Je souligne la nécessité de travailler en amont, de thématiser ces questions pour faire cesser le tabou, de réfléchir à la structure de l’organisation, et au réseau que l’on peut mettre en place pour s’assurer avoir des garde-fous.

Penses-tu que les campagnes des ONG apellant à la mobilisation excluent les diasporas africaines en Europe? Si oui, pourquoi et comment?

Il y a régulièrement des chiffres partagés sur les quantités d’argent envoyé par la diaspora sur le continent. Les pratiques individuelles d’envoi d’argent aux familles sont déjà développées, simplement elles ne passent pas par les associations. N’oublions pas en outre les groupes religieux, les groupes associatifs et l’argent donné directement aux familles. Il y a d’une certaine façon un circuit parallèle. D’un côté, les ONG ne pensent pas leur communication à destination de la diaspora.

Ensuite s’il s’agissait de pouvoir créer un lien avec les diasporas afrodescendantes, je pense que de toute façon il faudrait arriver à impliquer les afrodescendants dans le don. Mais auquel cas il faut que ces ONG se demandent avec quels groupes elles sont en concurrence. Je ne sais pas si les ONG ont des statistiques de “ qui donne”, mais oui les afrodescendants donnent des fonds, mais en passant par d’autres canaux que ceux des ONG qui ne sont pas calibrés pour eux. Il y a aussi des éléments politiques. Par exemple, eu égard aux nombreux scandales ayant eu lieu en Haïti, je ne connais pas d'haïtien qui donne à la croix rouge. Ça n’arrive pas.

À partir du moment où il y a des dérapages, des malversations et autres détournement de fonds suite au séisme de 2010, nombreux sont les membres de la diaspora qui ne se sentent pas concernée par les recruteurs de donateurs.

Si l’on se place du point de vue de la diaspora : considèrent-ils que ce sont les ONG occidentales qui vont aider à résoudre les problèmes en Afrique ? Je ne suis pas sûre que cela soit un sentiment partagé.

Le storytelling est une pratique de plus en plus utilisée par les ONG et les institutions, penses-tu que cette volonté de "faire parler le bénéficiaire" agit sur les représentations? 

Le fait que des membres de la diaspora puissent avoir des représentations erronées de la Caraïbe ou de la diaspora me semble différentes du strict fait de la communication des ONG. Quel est leur rapport au continent, à la Caraïbe, me semble un autre sujet. Il ne me semble pas que les représentations des ONG aient un impact fort sur les représentations de la diaspora.

"Le poverty porn implique la surreprésentation de la mort et de la destruction lorsqu’on représente le monde non-occidental dans les médias occidentaux."

Penses-tu que, à terme, les ONG pourraient devenir des fonds et laisser plus d'espaces à des structures locales pour le traitement de la campagne? 

C’est pour moi le plus pertinent en matière de relation Nord Sud. Il s’agit d’une déclinaison de la question “ on veut des complices, pas des alliés”. Que peuvent faire les privilégiés ? Leur rôle est-il de venir faire à la place de ou est-ce que c’est de donner les moyens aux gens de faire par eux-mêmes et ensemble ?

Mettons-nous en place des systèmes de financements tournés vers l’autonomie ou vers des pansements, non-créés pour développer de l’agentivité, mais pour perpétuer des systèmes coloniaux et des rapports de pouvoir. Je travaille sur l’adoption aux USA : de plus en plus de groupes retournent la question de l’adoption et l'oriente pour approfondir la discussion sur la “family preservation” pour donner aux familles précaires les moyens de s’occuper de leurs enfants plutôt que de les en retirer.

En Europe, la chute du nombre d'enfants adoptés coïncide avec l’acquisition des droits des femmes. L’accès l’IVG, à la contraception, à l’enseignement va de pair avec la déclinaison du nombre d’abandons d’enfants.

C’est pour moi le plus pertinent en matière de relation Nord Sud. Il s’agit d’une déclinaison de la question “ on veut des complices, pas des alliés”. Que peuvent faire les privilégiés ? Leur rôle est il de venir faire à la place de ou est ce que c’est de donner les moyens aux gens de faire par eux mêmes et ensemble ?

Mettons nous en place des systèmes de financements tournés vers l’autonomie ou vers des pansements,non-créés pour développer de l’agentivité mais pour perpétuer des systèmes coloniaux et des rapports de pouvoir.Je travaille sur l’adoption aux USA : de plus en plus de groupes retournent la question de l’adoption et l'oriente pour approfondir la discussion sur la “family preservation” pour donner aux familles précaires les moyens de s’occuper de leurs enfants plutôt que de les en retirer.

En Europe, la chute du nombre d'enfants adoptés coïncide avec l’acquisition des droits des femmes. L’accès l’IVG, à la contraception, à l’enseignement va de pair avec la déclinaison du nombre d’abandons d’enfants

 

 

 

 

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