1 juillet 2020

Kanjogera - La reine-mère stratège

Reines-mères, reines ou princesses à marier ont joué au Rwanda un rôle essentiel dans la conquête, le maintien ou la ruine du bien le plus enviable : le pouvoir sacré. Kanjogera est une des plus fameuses de ces souveraines. Haïe ou admirée, fascinante en tous cas pour les rwandais eux-mêmes, redoutée des belges, elle incarne une figure politique marquante dans la période de basculement du royaume vers la perte de sa souveraineté face au pouvoir colonial allemand puis belge.
Cec

 

Difficile de résumer une pareille existante, feuilleton de bruits, de fureur et de chuchotements mortels. Si l’on s’amuse au jeu des références occidentales, il y a en Kanjogera de l’Agrippine, de la Lucrèce Borgia, de la Lady Macbeth. Sur le fond, faussement bucolique, d’un royaume de pasteurs et d’agriculteurs, le pouvoir des souverains se révèle aussi importants, parfois plus, que celui de leurs époux et fils.

Institutionnellement, le « mwami » semblait régner en monarque absolu. Il était soumis à un code ésotérique détenu par les Abiru, gardiens de la tradition désignés par les grandes familles (les ouvrages de l’Abbé Kagame, issu de ce milieu, nous ont fourni les sources historiques). La succession et le mariage des rois obéissaient à des règles exigeantes. L’heureuse mère d’un « mwami », devenue reine-mère, constituait, symboliquement mais aussi très concrètement, une force politique essentielle.

 Une usurpation longuement organisée

 En 1895, Kigeli IV, 24e souverain connu, décide, de son vivant, d’introniser son successeur, Mibambwe IV. Au mépris du code, il choisit comme reine-mère adoptive, Kanjogera, son épouse favorite. Celle-ci avait déjà, du même que Kigeli, un fils nommé Musinga qui détrône son demi-frère et devient Yuhi Ier grâce aux manœuvres de sa génitrice. Elle aurait drogué Mibambwe, l’abrutissant progressivement pour saper son autorité : calomnies subtiles, strangulations discrètes, conseils piégés, jusqu’à la guerre ouverte. A la bataille de Rucunshu, Mibambwe vaincu se donnera la mort. Musinga triomphe et Kanjogera devient Nyirayuhi (mère de Yuhi, son nouveau titre de reine-mère).

 Reine mère malgré la contestation

Cependant cette ascension féroce va se payer durant trente-cinq ans de règne par des vendettas, des factions, des soulèvements, toute une série de déchirements internes. De surcroît, la mainmise des allemands et, plus tard, celle des belges, ébranle puis déracine une dynastie quasiment millénaire.
L’évangélisation du pays ne sera pas étrangère à ce déracinement. Musinga et Kanjogera sont réfractaires au christianisme. On attire à cette dernière la mise à mort par torture d’un de ses propres neveux, clandestinement converti. Cependant, les jeunes générations, d’abord par mode puis par défi, adoptent massivement la religion nouvelle.

Le poids de l’évangélisation

Musinga, dont le pouvoir chancelle, s’oppose de plus en plus aux belges, soutenu en cela par sa mère. Mal lui en prend. Le 12 novembre 1931, il est déposé et exilé en compagnie de Kanjogera. MUTARA III RUDAHIGWA, prince chrétien, lui succède.
Kanjogera meurt deux ans plus tard. Selon la coutume, un deuil de deux mois (avec interdiction de cultiver les champs) aurait dû être observé. On dit qu’il n’en a rien été.
A-t-elle pu, comme tous les rois et les reines-mères qui l’ont précédée, se réincarner sous forme de ver ou de léopard (ainsi que le veut la croyance)?

 

 

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